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26 janvier 2000

Croisements

Bernard
Plossu
Serge
Tisseron

Le désir d'arrêter l'instant est essentiel au geste d'appuyer sur le déclic de l'appareil photographique. Mais la signification de ce geste ne peut bien se comprendre qu'en ayant à l'esprit l'extraordinaire frustration imposée à chacun d'entre nous par le mouvement permanent du monde. Nous manquons tous cruellement de temps pour développer, explorer et symboliser à tout moment les sensations, les émotions et les états du corps que mobilisent en nous chaque nouvelle expérience. Faire de la photographie constitue d'abord un acte de résistance contre l'écoulement trop rapide du temps, mais pas sur le mode de l'embaumement, bien au contraire ! A travers les images que nous fixons sur la pellicule, nous visons à nous donner les moyens de retrouver les sensations, les émotions et les états du corps qui étaient les nôtres au moment de la prise de vue et que nous avons dû abandonner trop rapidement pour d'autres. Photographier consiste bien à « enfermer ». Mais, comme dans le cas de l'appareil psychique, c'est « enfermer » avec le désir de « développer » plus tard les choses pour les vivre à nouveau, et surtout les assimiler à son rythme.

Bien sûr, c'est en grande partie une illusion : le temps continue à passer et rien ne revient jamais pareil. Mais cette illusion est créatrice de sociabilité. Au moment où nous découvrons une photographie développée, nous la regardons, nous la montrons, nous en parlons, et la vie paraît un instant reprendre là où nous l'avions laissée. Des mécanismes d'élaboration et d'assimilation psychique qui n'ont pas pu se mettre en place dans le moment de la prise de vue s'engagent à travers la parole, le fait d'être ensemble pour voir l'image ou à travers la possibilité de la modifier s'il s'agit d'une image numérique. Comme dans la vie, notre désir est partagé à tout moment entre deux tendances opposées : d'un côté, découvrir le maximum de choses et les enfermer en soi en se persuadant qu'on aura toujours le temps de les développer et de les assimiler plus tard; et d'un autre côté, restreindre nos nouvelles expériences et nous donner du temps pour développer et assimiler celles que nous avons déjà faites. Ces deux attitudes sont en concurrence permanente dans la vie comme elles le sont dans l'acte de photographier. C'est elles qui nourrissent cet acte, toujours à mi chemin entre le désir d'enfermer plus de choses avec le désir de les développer plus tard et celui de les développer tout de suite. Il y a des gens qui préfèrent « enfermer » sans développer et d'autres qui aiment découvrir leurs images et en parler. La pellicule traditionnelle et le polaroïd ne répondent pas aux mêmes attentes ! On ne fait pas toujours des photographies comme on embaume des cadavres. On en fait aussi comme on cueille des fleurs, en sachant nos sensations périssables, pour le plaisir d'accompagner leur évanouissement fugitif ou de rendre hommage à la beauté du monde. Et on en fait parfois comme on planterait des graines, en attente de la floraison à venir.

S.T.

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