29 novembre 2000
Nous pourrions paraphraser Platon : "figure-toi un photographe dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière ; cet hommes est là depuis son enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu'il ne peut bouger ni voir ailleurs que devant lui, la chaîne l'empêchant de tourner la tête ; la lumière lui vient d'un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière lui. Le prisonnier ne voit de lui-même, de ses compagnes, que des ombres projetées." Stephen Feldman est ce prisonnier volontaire qui déteste la réalité, fuit la couleur. " Skiagraphe " plus que photographe : façonnant l'ombre plus que la lumière.
Ou encore : "figure-toi des fleurs (des femmes) dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière ; ces fleurs (ces femmes) sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu'elles ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant elles, la chaîne les empêchant de tourner la tête ; la lumière leur vient d'un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière elles. Les fleurs (les femmes) ne voient d'elles-mêmes, du photographe, que des ombres projetées." Aveugles lucides, elles jouent avec lui comme il joue avec elles, se meuvent et l'émeuvent dans une réciprocité dissymétrique. Stephen Feldman brouille les pistes : de l'artiste et du modèle, qui voit quoi ? qui voit qui ?
Ses gommes et gravures photographiques n'offrent pas l'accès à un "çà a été", comme les studiums et les punctums de Roland Barthes ; elles livrent d'une gifle les tensions du "ça n'a pas été", ne disent pas l'empreinte mais la distance. Entre le modèle et le photographe, il y eut rencontre sans actualité.
Les femmes de Feldman ne sont pas des fleurs, mais ses fleurs sont des femmes. Pour comprendre les fleurs, il faut connaître les femmes. Pour comprendre les femmes, il faut connaître ses quartiers de buf suspendus comme des Bacon aux crochets des abattoirs. Sans tête non plus. Sans visage et sans regard. Maillon après maillon, l'uvre de Feldman s'enchaîne dans une implacable rigueur.
Que l'on ne confonde pas l'artiste avec un clic-claqueur. Feldman n'a rien volé à ses modèles. Du corps qui s'offrait, il n'a reçu que l'ombre. Il l'a rendue sans sacrifier aux modes. Les affrontements qu'il propose sont plus violents, plus techniques. Quasi scientifiques et cruels. Nous recevons éberlués ces tiges, corolles et collerettes, lobes, calottes et bourgeons, cornets et cornettes. Tout ce qui, de fleur ou de femme, s'offre sans compter.
Ecrire sur ces images non-médiates, immédiates, est paradoxal, sinon absurde. Elles ne montrent rien, ne tiennent pas de discours, visent au plus juste. Nous, spectateurs, les jambes et le cou enchaînés, nous ne pouvons tourner la tête. La lumière vient d'un feu allumé sur une hauteur, derrière nous. Nous ne voyons de nous-mêmes, du photographe et de ses modèles que les ombres projetées sur la paroi qui nous fait face. Le mérite des dispositifs subtilement mis en place par Stephen Feldman est d'éclairer d'une lueur certaine, leur insondable obscurité.
Monique Sicard
Stephen L. Feldman expose (Gommes et gravures photographiques) à la galerie Rachlin Lemarié Beaubourg du 4 novembre au 7 décembre 2000. Titre de l'exposition :"Intimicies : the futility of desire"
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