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13 mars 2002

François Méchain

Photographie et sculpture : l'entre-deux

« [...]
À qui n'admettrait pas que toute création dans l'espace est aussi et indissociablement création d'espace, il ne serait, pour hâter sa persuasion, que de lui mettre sous les yeux l'admirable triade (ou trilogie) grecque constituée par Arkadia, Kaissariani, et Sans titre.

Ce qui est donné à voir, dans ces œuvres qu'on est tenté de dire "présocratiques", ce n'est pas un paysage, si du moins on entend par là une vue au sens naturaliste du terme : c'est un voir en acte, c'est-à-dire, selon l'éthymologie, une idée (de idein voir) : ce n'est rien de passif ni de déroulé comme un spectacle, a fortiori rien de pittoresque. A la sollicitation élémentaire, originaire, du site hellénique, défiguré par la "poésie" à la carte (postale) du voyage organisé, l'artiste a donné réponse, différée et transposée en forme de poème : il a comme mis en échec une vérité si diffusée qu'elle tourne au scandaleux mensonge (la Grèce bleu-et-blanc des opérateurs de tours), spontanément caviardé une solution visuelle paresseuse, générale et lascive : il a refoulé, en dépit des communes tentations qui assaillent le quidam (chacun de nous, dès qu'il pose un pied sur une terre saturée de mythes et de types, fait irruption dans un lieu recouvert jusqu'à étouffement par le lieu commun), un paysage sensible de premier abord pour laisser (trans)paraître un pays intelligible : ce qui signifie, et cela fait diablement plus que nuance, non pas le pays idéal mais le pays de l'idée.

« Arkadia », 1991, Grèce.
Photographie N&B sur aluminium : 151 x 122 cm.
In situ, sculpture éphémère, amandier, chêne vert et pierres calcaires :
1800 x 700 x 650 cm.

Prenons-y garde : nous ne sommes pas dans l'idéalisme au sens moderne du mot, mais dans l'idéalité, parfaitement compatible avec la matière végétale périssable. En d'autres termes, ces poèmes mathématiques de feuilles, qui eussent enchanté Valéry, ne plaident pas pour un autre monde censément situé derrière l'apparence, mais plutôt révèlent les nervures de ce monde-ci, éphémère et tendu dans soi. Il y a donc d'abord, j'y insiste, substitution d'espace. À la question sauvage, rude, qu'(im)pose le site, répond, conscient du risque encouru, un cadre : une mire - une image-idée - décompose puis recompose le visible, à la fois le ramène à ses constituants, tant formels (pour la triade grecque : le cercle, le cylindre, le parallèlépipède) que matériels (la plante et la pierre) et le fait entrer dans une hypothèse, c'est-à-dire dans une fiction. À ce moment-là, tout près de l'origine, le geste de sculpter et celui de photographier se fondent l'un dans l'autre et les valeurs de proximité substantielle, inhérentes au premier, se mêlent à l'intégration des lointains coextensive à toute visée. Le site a fait lever un regard à trois dimensions. Ce sont la matière la forme, le sens. [...]

« Bailleul », France, 1994.
Triptyque photographique N&B sur aluminium, 420 x 115 cm.
In situ, sculpture éphémère, graminées, bois mort, bûches, 840 x 200 x 230 cm.

Cette métamorphose de l'espace-vu en voir-comme-espace, qui me paraît donner la clé de la création chez Méchain, n'aboutit pas à une image, mais à un poème. Où est la différence ? Elle tient à ce que l'image, qu'on le veuille ou non, représente, tandis que le poème comme dit Passeron, présente sa présentation Ce qui revient a dire que l'image n'est jamais abandonnée "lâchée" finalement - comme si, en la regardant au stade ultime du processus créateur, nous pouvions nous désintéresser totalement des phases antérieures et, par conséquent, ignorer qu'avant d'être une photographie l'œuvre a été une sculpture éphémère in situ. Au contraire, pour voir juste, notre regard doit conserver mémoire du sculptural. Si c'était parce que la photographie sauve de l'oubli, selon le cliché qui lui colle à la pellicule, nous ne ferions que consacrer la séparation, la distinction des genres. Or, la raison pourquoi les photographies résultantes de Méchain ne sont pas des résultats, pourquoi ce ne sont pas des images, mais des poèmes, la voici : l'action de sculpter a eu lieu dès le départ dans le cadre d'une visée. Méchain est d'ailleurs si intimement pénétré de la radicale intrication de toutes les opérations auxquelles il se livre, aussi bien (pour prendre les extrêmes) marcher dans la campagne que s'enfermer dans la chambre noire, qu'il continue de sculpter pendant le tirage : impossible de le confier au premier venu, dans la mesure où il est partie intégrante du processus créateur. Citons l'artiste lui même : "J'opère pour ma part maintes manipulations, véritable travail de sculpture, dans le seul but de mettre en osmose maximale le projet mental initial et l'image définitive" (avril 1994).
[...] »

Texte extrait de "Les poèmes sculpturaux de François Méchain", Michel Guérin, Recherches Poïétiques N°6, printemps/été 1997.

Biographie de François Méchain

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