8 décembre 2004
Chargé détudes, auteur de nombreux articles sur les relations entre sport et télévision
Le match de football occupe une place importante dans les programmes télévisuels, par lattrait considérable quil exerce et les enjeux économiques qui le sous-tendent. Autant les règles du jeu lui-même sont simples, autant le décryptage de sa forme télévisuelle est complexe. A chaque transmission est mis en uvre un puissant dispositif technique et humain : technologies numériques performantes, démultiplication des caméras et des angles de vue, alternances de directs et de différés, ralentis, plans serrés, incrustation de bilans statistiques, de « jeux » et de logos, prises de vue et de son dans les vestiaires même
Que sert un tel luxe technique ? Linformation, le spectacle, le pouvoir de la télévision, les intérêts du sport, les sponsors, la recherche de la vérité et la justice sportive ? Cela rapproche-t-il du jeu lui-même ?
On parle couramment de « sport-spectacle » (notamment pour dénoncer les dégâts du dopage et le rôle démesuré de largent) mais la dimension denquête et de procès du sport télévisé nest pas analysée. De fait, limage et ses perfectionnements techniques sont considérés comme des facteurs de progrès. Pour beaucoup, elle est une source de vérité, loutil précieux dune assistance aux arbitres comme aux commissions de discipline. De véritables enquêtes instantanées sur les fautes des joueurs se substituent de facto aux autorités du football. Les spectateurs sont parfois pris à témoin contre des arbitres devenus boucs émissaires.
La preuve par limage est utilisée dans sa version fixe des photo-finish, pour les courses dathlétisme ou de natation, sports individuels et linéaires. Pour les sports collectifs, en revanche, elle savère problématique. Contrairement à la course, le football est structurellement un jeu, caractérisé par son mouvement continu et son imprévisibilité, par les infinies variations des déplacements ; les paramètres de la victoire et de la défaite y sont innombrables.
Le jeu, qui laisse une place à lerreur, et dont celle-ci même est partie intégrante, se trouve menacé par le mythe de la vérité parfaite. Passé au crible de limage censée léclairer le réel disparaît. Plus les caméras le traquent, plus il leur échappe. Plus les caméras nous emmènent au cur de laction, plus lespace du jeu se morcelle, plus la distance critique sefface. Le culte du détail empêche la vision densemble. Vouloir être partout et tout voir est un fantasme qui conduit à ne plus voir. Commentateurs et téléspectateurs sont entraînés dès lors dans une suite sans fin de vaines supputations.
Ne touche-t-on pas ici aux limites de limage ? A linverse, ne mesure-t-on pas, dans le crédit qui lui est si généreusement accordé, la confiance qui lui est faite, la profondeur de nos croyances ?
Deux évolutions majeures enfin : la transformation progressive du football en jeu de télé-réalité, lapparition décrans géants dans les stades, doublant le réel par un dispositif hybride. Ce sont des téléspectateurs qui occupent désormais les gradins des stades. Le réel nexiste plus sans son double ; le sport, sans ses prothèses.
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